Le rôle de la stigmatisation dans le diagnostic et le traitement du TSAF chez les Autochtones

L’une des questions les plus importantes à prendre en considération lorsqu’on envisage la prestation de services relatifs au TSAF en milieu autochtone est une résistance des populations autochtones à la façon dont le TSAF est défini dans le modèle médical actuel. Souvent, on suppose que c’est une question d’absence de normes ou d’outils d’évaluation culturellement adaptés, mais la question est plus profonde que cela.

En termes traditionnels, ce que nous appelons aujourd’hui un trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale pourrait être considéré comme une « désorganisation ». Il y a une rupture de la relation mère-enfant qui est liée à la rupture des relations sociales de l’individu avec lui-même, sa famille, son milieu et la société dans son ensemble.

Noel Milliea, un des guérisseurs traditionnels qui fait partie de l’équipe de diagnostic d’Eastern Door, a proposé de jeter sur le TSAF un regard différent en l’inscrivant dans un cercle (plutôt que dans une grille) et en le considérant comme un trouble systémique autant qu’un trouble individuel.

Lorsqu’on définit le TSAF de cette manière, on ne stigmatise pas les personnes qui en sont atteintes, ni les mères, ni les familles ni la collectivité. Ce n’est pas le cas lorsqu’on voit le TSAF à travers le prisme du modèle médical actuel. Selon ce modèle, on a tendance à percevoir le TSAF comme « la faute de la mère ». On pouvait lire, par exemple, dans un article publié dans une revue médicale : [TRADUCTION] « […] en exposant le fœtus à une substance tératogène, la mère est, du point de vue de la causalité et, d’une certaine façon, moralement, responsable du résultat. »

Cette façon de penser stigmatise la mère et a ainsi pour résultat une résistance de sa part à l’obtention de services de diagnostic pour son enfant ou même à la divulgation de sa consommation d’alcool pendant la grossesse (même si elle en consommait avant de savoir qu’elle était enceinte ou que son médecin lui avait dit qu’une consommation modérée ne nuirait pas à son enfant). Au Canada, la population autochtone dans son ensemble porte le « stigmate » du TSAF. La mésinformation qu’on trouve dans les modèles médicaux classiques a des conséquences éthiques graves car elle entrave les progrès et l’accès aux moyens en générant une résistance et un malaise chez les Autochtones. Selon l’Ontario Federation of Indian Friendship Centres, la stigmatisation associée au TSAF et aux Autochtones a pour effet de faire taire les voix autochtones sur ce sujet :

« Cette étiquette erronée qu’on colle n’a pas seulement eu un effet négatif sur la compréhension de la santé des Autochtones et de leur milieu; elle a également inhibé les progrès dans la recherche et l’élaboration de stratégies en matière de TSAF […] »

La réalité est que la prestation de bons services en matière de TSAF est un problème sanitaire grave chez les Autochtones et chez les non-Autochtones du Canada, mais les collectivités autochtones (et les personnes qui y vivent) sont particulièrement défavorisées en raison des [TRADUCTION] « difficultés disproportionnées qu’elles vivent en ce qui touche les déterminants sociaux de la santé » et la non-obtention des services dont elles ont besoin :

« Les pratiques de colonisation et d’assimilation ont eu pour résultat des taux élevés de maladies mentales, de toxicomanie, d’itinérance, de pauvreté, de chômage, d’incarcération, de maladies physiques et de dysfonctionnement collectif et familial. … De nombreuses personnes n’ont pas accès aux services holistiques qui les aideraient à surmonter l’isolement social et les expériences de violence et de sévices qui peuvent découler de ces problèmes. Prises ensemble, ces conséquences d’un traumatisme commun cristallisent les causes profondes ou ultimes du TSAF chez les Autochtones. Il faut les résoudre par des méthodes culturellement adaptées qui favorisent la réintégration culturelle, la guérison personnelle et collective et le changement positif. Le TSAF est davantage le produit d’une situation socio-économique qu’une question de race ou de culture, et tant qu’il n’existera pas de stratégie nationale ou provinciale, … les Autochtones touchés par le TSAF seront privés des soutiens et ressources culturellement adaptés, holistiques et déterminés par eux qui leur assureront des résultats positifs sur le plan de la santé ainsi qu’une qualité de vie optimale. »

Des études ont démontré que les inégalités du système au Canada en ce qui touche la santé des Autochtones étaient la cause première des écarts en matière de santé. Vue sous ce jour, la prestation aux Autochtones de services relatifs au TSAF – qu’il s’agisse de diagnostic, de prévention ou d’intervention – suppose l’établissement d’une priorité dans le système et définit une responsabilité du système. Cette démarche, axée sur la prévention et la guérison, suppose que tous les pouvoirs publics canadiens collaborent ensemble activement. La création de mécanismes de prévention et de guérison dans le système de santé faciliterait en retour l’accès à des services de diagnostic du TSAF culturellement adaptés et aux mesures d’adaptation sociales, économiques, physiques et spirituelles dont les personnes et les familles touchées ont besoin pour composer avec le TSAF et les déficiences qui en découlent.